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LA FAMILLE D’EÌ MILIE A ACCUEILLI UN « PRINCE » AFGHAN

Depuis un an, de plus en plus de Belges abritent, pour quelques jours, des « transmigrants » souvent illeÌ gaux. Au meÌ‚me moment, aÌ€ Paris, EÌ milie de Turckheim et sa famille accueillaient chez eux, pendant preÌ€s d’un an, un jeune reÌ fugieÌ afghan. L’eÌ crivaine relate cette expeÌ rience de deÌ couverte de l’autre, faite sans (trop) se poser de questions, dans un livre personnel et touchant, Le prince à la petite tasse.

Aux derniers eÌ tages d’un immeuble ancien du quartier de la Contrescarpe, l’appartement d’EÌ milie de Turckheim et de sa famille n’est pas treÌ€s grand : aÌ€ peine septante meÌ€tres carreÌ s. Mais il compte tout de meÌ‚me trois chambres. Jusqu’en novembre dernier, l’une d’entre elles eÌ tait occupeÌ e par un hoÌ‚te de passage plutoÌ‚t original : Reza. Un jeune reÌ fugieÌ afghan d’une vingtaine d’anneÌ es qui, ayant fui son pays aÌ€ l’aÌ‚ge de douze ans, avait traverseÌ l’Europe, reÌ‚veÌ de s’installer en NorveÌ€ge (ce qui lui sera refuseÌ ), et s’eÌ tait re- trouveÌ aÌ€ Paris. L’histoire de cet accueil, EÌ milie l’a confieÌ e, au jour le jour, aÌ€ son journal intime, ouÌ€ elle commente sa vie depuis ses douze ans.
Lorsque le jeune Afghan a quitteÌ l’appartement, elle a relu ces pages avec eÌ motion. « Je pleurais comme une madeleine. Et je me suis dit que j’aimerais vraiment en faire un livre.  » Ainsi est neÌ Le Prince aÌ€ la petite tasse, l’un des titres dont on parle en cette rentreÌ e litteÌ raire.

UNE BONNE IDEÌ E.
CoÌ‚teÌ livres, EÌ milie de Turckheim n’en est pas aÌ€ son coup d’essai. Elle est l’auteure d’une dizaine de romans et d’un texte sur son expeÌ rience comme modeÌ€le vivant. Mais ici, c’est sa vraie vie avec Reza qu’elle met en reÌ cit. Du moment ouÌ€ elle s’est un jour leveÌ e en se disant qu’accueillir un reÌ fugieÌ lui semblait une bonne ideÌ e. Jusqu’aÌ€ ce que, ayant trouveÌ un boulot (et un logement associeÌ ) en peÌ ripheÌ rie de Paris, Reza quitte l’appartement familial.

« Accueillir un migrant, on n’en avait pas vraiment parleÌ en reÌ fleÌ chissant sur nos motivations ou en se demandant comment on allait s’organiser, raconte-t-elle. Tout est venu d’un constat de Fabrice, le papa de mes enfants, qui passait chaque jour place de la Chapelle, ouÌ€ est installeÌ un treÌ€s grand campement. Il me disait qu’il ne cessait de croiÌ‚tre, et qu’on y vivait dans des conditions de plus en plus insalubres. Un matin, j’ai donc proposeÌ aÌ€ ma famille d’accueillir un reÌ fugieÌ ici. Ils ont tous accepteÌ . Sans qu’il y ait de discussion. »

UN SIMPLE GESTE.

Cet acte d’accueil, EÌ milie l’explique notamment en reÌ feÌ rence aÌ€ la DeÌ claration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dont les principes semblent de moins en moins mis en oeuvre aujourd’hui. « Alors qu’on peut y contribuer par un simple geste.  » Mais on ne peut exclure que ce choix ait aussi une inspiration chreÌ tienne. « Je ne le renie pas. On ne sait jamais vraiment ce qui nous anime, et pourquoi on fait les choses. » EÌ milie a en effet une meÌ€re catholique et un peÌ€re protestant. Dans sa famille, on avait deÌ cideÌ que les garçons seraient protestants et la fille catholique. AÌ€ l’aÌ‚ge adulte, elle se tournera, elle aussi, vers le protestantisme. Les valeurs de la Bible lui parlent donc beaucoup. Mais elle n’estime pas pour autant que les chreÌ tiens sont soumis aÌ€ une sorte d’« impeÌ ratif cateÌ gorique » de « devoir d’accueil ».

« "Devoir– laisse entendre qu’on peut eÌ‚tre ameneÌ aÌ€ le faire aÌ€ contrecoeur, sans eÌ lan sinceÌ€re. Or, quand on accueille, on est dans la deÌ marche inverse : on vit quelque chose de reÌ ciproque. La rencontre de l’autre est une expeÌ rience, un voyage treÌ€s joyeux qui ne nous renseigne pas d’abord sur l’autre, mais nous permet en premier lieu de comprendre qui on est soi-meÌ‚me, ce qui nous anime, a du sens, est plus important que tout. HeÌ berger quelqu’un apporte beaucoup plus aÌ€ celui qui tend la main qu’aÌ€ celui qui est en face. C’est celui qui reçoit qui a le beau roÌ‚le. Se trouver en situation de dette, d’eÌ‚tre accueilli, est bien plus compliqueÌ . Or Reza nous a beaucoup plus apporteÌ , et nous a fait com- prendre plus de choses, que ce qu’on lui a apporteÌ . Nous, nous lui avons rendu un service mateÌ riel.  »

UN VRAI COMBAT.

Le Prince aÌ€ la petite tasse raconte comment, finalement, heÌ berger un migrant est plus simple qu’il n’y paraiÌ‚t. Du moins une fois les craintes et les appreÌ hensions passeÌ es. Dans le cas d’EÌ milie, celles-ci n’ont pas eÌ teÌ nombreuses. « Lors de mes premieÌ€res interviews, des journalistes ont deÌ buteÌ l’entretien en me demandant si, avec un inconnu chez moi, je n’avais pas eu peur pour mes enfants. Face aÌ€ une personne qu’on ne connaiÌ‚t absolument pas, par- tir du principe que le premier eÌ lan qui peut nous animer est la meÌ fiance est particulieÌ€rement reÌ veÌ lateur ! Fermer une porte revient aÌ€ affirmer notre peur immeÌ moriale de l’eÌ tranger qui nous veut du mal. Alors que, quand on imagine tout le courage qu’il faut avoir pour quitter son pays, la prise de risque, l’espoir qu’on ne doit jamais perdre, cela doit plutoÌ‚t forcer l’admiration ! »

En France, ouÌ€ le mot « migrant » aÌ€ lui seul suscite deÌ jaÌ€ poleÌ mique, la belle aventure veÌ cue par ce couple et ses deux garçons de sept et neuf ans a enflammeÌ les reÌ seaux sociaux et la presse d’extreÌ‚me-droite. Bien malgreÌ elle, EÌ milie est ainsi devenue une icoÌ‚ne de l’accueil des reÌ fugieÌ s et de la mise aÌ€ mal des preÌ jugeÌ s. La violence des commentaires l’a eÌ tonneÌ e. « On m’a accuseÌ e de vouloir islamiser l’Europe, de la couper de ses racines chreÌ tiennes et juives. AÌ€ l’heure actuelle, le deÌ bat laÌ€-dessus est impossible, parce qu’il touche aux religions. Alors qu’il faudrait pouvoir aÌ€ la fois conserver nos valeurs et inteÌ grer les apports de toutes ces personnes qui arrivent. »

Reza, Afghan de meÌ€re chreÌ tienne dont il n’a plus de nouvelle, s’eÌ tait converti au protestantisme lors de son passage en NorveÌ€ge. ArriveÌ en France, il y recevra un permis de seÌ jour, sera engageÌ pour des taÌ‚ches de nettoyage, trouve- ra accueil chez EÌ milie, deÌ pensera son salaire aÌ€ aider ses compatriotes migrants ou aÌ€ faire appreÌ cier la cuisine et le theÌ de son pays (d’ouÌ€ le titre du livre). Impossible ici de raconter toute l’expeÌ rience de deÌ couverte veÌ cue par cette famille, deÌ jaÌ€ originale, avec un migrant au profil lui aussi peu banal. Mais on ne pourra qu’eÌ‚tre toucheÌ par ce reÌ cit, ponctueÌ de petits textes que l’auteure, eÌ galement poeÌ tesse, n’a pu reÌ sister aÌ€ y glisser.

Aujourd’hui, Reza a vu son contrat de travail en banlieue prolongeÌ de six mois. Il reÌ‚ve de reprendre des eÌ tudes, et peut-eÌ‚tre de devenir sapeur-pompier. EÌ milie, avec qui il converse toujours, est preÌ‚te aÌ€ l’aider. Avant de proposer aÌ€ sa famille d’accueillir aÌ€ nouveau chez elle un autre jeune migrant... â– 

Propos recueillis par FreÌ deÌ ric ANTOINE

EÌ milie de TURCKHEIM, Le Prince aÌ€ la petite tasse, Paris, Calmann-LeÌ vy, 2018. Prix : 19,40€. Via L’appel : -5% = 18,43€.

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